Ma réaction fait suite au débat déclenché par rapport au reportage de France 2 diffusé mardi :
En effet, je ne suis moi-même pas concernée, n'étant pas journaliste, mais je m'interroge.
Dans ce reportage, une équipe de journalistes s'infiltre dans des réseaux de pédophilie, se faisant tout d'abord passer pour une enfant de 12 ans, puis pour un pédophile. A l'issue dudit reportage, l'équipe a donné les informations récoltées à la police.
Depuis, la profession s'insurge.
« C'est ce qui s'appelle se donner le très très bon rôle. C'est une conception du journalisme qui relève de Tintin, de Zorro, du Chevalier Blanc. […] Il ne fallait pas se mettre dans cette situation là. »
Frédéric Bonnaud, dans Le Grand Direct des Médias sur Europe 1
« Tout cela ne signifie pas qu'il ne fallait pas le faire. Encore faut-il trouver un nom à cette pratique, qui se situe quelque part entre le travail de police et le reportage animalier, mais que je peine, pour ma part, à nommer du journalisme. »
Daniel Schneidermann dans Arrêt sur Image
Voici mon avis personnel sur la question :
Le problème pour moi ici est que les journalistes SAVAIENT TRÈS BIEN dans quel type de reportage ils s'engageaient. Donc ils avaient déjà dû réfléchir à ce qu'ils feraient une fois les images et interviews en poche, c'est à dire dénoncer aux autorités.
On peut en déduire qu'ils ont effectué ce reportage pour faire à la fois du "choc" et mener leur petite enquête personnelle dans le but de dénoncer ensuite.
Ils ont voulu jouer les justiciers, mais il s'agit d'une porte ouverte à toutes les fenêtres !
On va finir avec des polices de la pensée, parce que si un journaliste peut le faire, des gens vont se dire qu'ils peuvent également le faire. La pédophilie est un sujet brûlant.
Tout le monde va se mettre à soupçonner tout le monde et les gens vont rendre justice eux-mêmes, pourquoi pas, comme l'affaire qui est sortie ce matin (ces mères de famille de Béziers qui ont assassiné leur voisin pour suspicion de pédophilie, pour plus d'informations vous pouvez lire cet article).
Or, il y a des fonctionnaires payés par l'Etat pour faire ça : les policiers.
Après, OUI, si on tombe PAR HASARD sur des images ou un témoignage, il est de notre DEVOIR de CITOYEN de dénoncer. Mais là le problème c'est qu'il ne s'agit en aucun cas d'un hasard mais d'une investigation menée dans le but de faire de l'audimat, d'une enquête dans le cadre de laquelle le journaliste s'est supplée aux policiers !
Je ne sais pas comment l'affaire a pu éclater au grand jour, mais visiblement il n'y a pas eu assez de précautions de prises. Limite qu'ils fassent ceci sans en parler, ça n'aurait au moins pas porté préjudice à leur profession.
Mais là, en plus d'avoir joué aux héros (peut-être sur ordre de la chaîne ou des producteurs d'ailleurs), ils jettent l'opprobre sur cette profession déjà mise à mal par le journalisme de scoop et les accusations récentes quant au manque de liberté de la presse.
Je m'interroge donc, déjà, sur ce point.
Cependant, une autre interrogation me taraude par rapport au reportage en lui-même.
Le journalisme, c'est fait pour quoi? Pour informer.
Pour mettre à jour des réalités inconnues du commun des mortels et expliquer ce qui se passe dans le monde.
OR, tout le monde sait que les pédophiles existent, qu'ils fonctionnent par réseaux, etc. On ne peut donc pas vraiment dire qu'il s'agit là d'une information "utile". C'est plutôt un reportage choc destiné à renforcer les gens dans leurs convictions, un brin à contre emploi de ce que devrait être le journalisme.
A la rigueur, faire un reportage sur une brigade anti-pédophilie, la suivre pendant un an et mettre en exergue au montage à la fois les points forts de ces brigades mais aussi les dysfonctionnements, de la façon la plus objective possible. Là on pourrait déjà parler un peu plus d'information.
La déontologie et le devoir du journaliste devraient être revus.
Les journalistes d'investigation vont-t-ils avoir beaucoup plus de fil à retordre dans leurs futures enquêtes?
La vigilance et la méfiance des criminels ou réseaux de quelque sorte que ce soit (drogue, traffics, prostitution, etc) à l'égard des journalistes va-t-elle augmenter de manière significative?
Et aussi, les policiers, usant des mêmes méthodes que le ou les journalistes dudit reportage, ne vont-ils également pas avoir un peu plus de mal à intégrer les réseaux, si ladite méfiance s'accroit?
Quelques liens utiles :